Cela fait 25 ans que Febelauto, l’organisme belge de gestion des véhicules hors d’usage, plaide pour l’introduction d’un passeport automobile. « Si nous voulons éviter de perdre des matériaux précieux, il faut que nous puissions assurer la traçabilité des voitures de A à Z », explique Catherine Lenaerts. La directrice de Febelauto se réjouit que l’accord fédéral de gouvernement mentionne la création d’un tel passeport et elle espère que le monde politique passera à l’action, de préférence au niveau européen.
Spontanément, Catherine Lenaerts évoque l’évolution des chiffres relatifs à la collecte de véhicules hors d’usage depuis 2014. « Il est frappant que malgré toutes les technologies modernes dont nous disposons, la tendance de ces dix dernières années est surtout à la baisse. Cela signifie qu’un trop grand nombre de véhicules nous échappent, ce qui ne profite à personne. » Première victime : l’environnement. « Les épaves qui sont traitées ici, en Belgique, sont recyclées à hauteur de 98 %, et réutilisées à 24 %. Ces taux élevés s’expliquent surtout par notre technologie post-broyage particulièrement avancée. Elle nous permet mieux que n’importe quelle autre technologie de donner une seconde vie à tous ces matériaux précieux. D’après les calculs que nous avons fait réaliser, nous pouvons ainsi réduire les émissions de pas moins de 83 %, soit 3 392,3 kg de CO2 en moins par véhicule. Cela vaut donc la peine de redoubler d’efforts pour garder les voitures en fin de vie sur notre territoire », conclut la directrice de Febelauto. Elle pointe un autre argument important : la sécurité. « Ce n’est pas sans raison qu’un véhicule est déclaré hors d’usage en Belgique. Le laisser reprendre la route ailleurs, c’est potentiellement mettre des vies en danger. Bien souvent, l’acheteur dans un autre pays ignore que la voiture a été officiellement retirée de la circulation. »
Pour assurer un traitement adéquat des véhicules en fin de vie, la mise en place d’un système de traçabilité efficace est une condition sine qua non. Et c’est précisément là que le bât blesse. « En Belgique, nous n’avons pas facilité les choses en liant le numéro de plaque d’immatriculation à une personne plutôt qu’au véhicule lui-même. Un tel système complique fortement la traçabilité d’une voiture. Mais ce n’est pas pour autant mission impossible, car chaque voiture possède un identifiant unique : son numéro de châssis. Depuis 25 ans, nous transmettons ce numéro à la Direction pour l’Immatriculation des Véhicules, ce qui permet de générer un certificat de destruction pour chaque véhicule hors d’usage traité dans un centre de recyclage agréé. Ce numéro de châssis pourrait donc constituer le point de départ idéal pour un tel système. Si l’on peut tracer un œuf jusqu’à la ferme dont il provient, il doit être tout aussi possible de retracer l’historique complet d’une voiture, surtout avec les technologies numériques dont nous disposons aujourd’hui. »
Pourquoi n’en sommes-nous toujours pas là, alors ? Catherine Lenaerts pointe un manque de volonté politique. « Pour faire bouger les lignes, il faut un engagement clair du monde politique, avec des moyens financiers et humains à la clé. C’est pourquoi nous nous réjouissons de voir que l’accord de gouvernement mentionne enfin la création d’un passeport automobile. Après 25 ans à lutter contre des moulins à vent, nous espérons que les choses vont enfin évoluer. » Pas besoin de créer un cadre légal : celui-ci existe déjà. La loi de 2010 relative à la création de la Banque-Carrefour des Véhicules prévoit que chaque changement dans le cycle de vie d’un véhicule doit être enregistré. « C’est exactement ce qu’il nous faut pour instaurer un système de traçabilité. Pouvoir suivre toutes les étapes est une condition indispensable. Mais comme l’arrêté royal d’exécution n’a jamais été adopté, cette loi est restée lettre morte depuis toutes ces années. »
Catherine Lenaerts plaide toutefois avant tout pour une solution à l’échelle européenne. La nouvelle réglementation relative aux véhicules hors d’usage va même jusqu’à envisager trois passeports : un pour la circularité, un autre pour les véhicules et un troisième pour les batteries. « La répartition des compétences entre deux directions générales – la DG Environment et la DG Move – impose une réelle interaction si l’on veut parvenir à une solution efficace pour l’ensemble des États membres. Des outils existent déjà et peuvent servir de point de départ. » Notre interlocutrice cite l’exemple d’EUCARIS, le système utilisé par plusieurs pays européens pour échanger des informations concernant des véhicules, des permis de conduire, des documents d’assurance et des infractions au code de la route. « La solution pourrait passer par l’interconnexion ou l’extension de systèmes numériques déjà en place. Mais si l’on attend que chaque État membre agisse individuellement, il ne se passera rien. Les disparités sont encore trop grandes. Nous comptons surtout sur les Pays-Bas pour donner l’impulsion. Là-bas, les moyens humains et financiers sont plus conséquents. »
Malgré les nombreux défis à relever sur le terrain, la directrice de Febelauto reste optimiste. « L’an dernier, les chiffres sont repartis à la hausse : le nombre de véhicules hors d’usage est passé de 63 592 à 69 116, soit une augmentation de 8 %. En ce qui concerne les batteries, nous disposons déjà – grâce à notre application dédiée aux véhicules hors d’usage – d’un système 100 % numérique permettant d’assurer leur traçabilité en matière de recyclage. Nous avons également configuré cet outil de manière à pouvoir intégrer, à terme, d’autres passeports. Nous sommes donc tout à fait prêts à évoluer vers un seul système numérique qui centraliserait toutes les données relatives à la traçabilité. Ce serait un pas important vers plus de transparence, et cela permettrait d’écarter les acteurs peu scrupuleux. »